Après un copieux déjeuner sur le bord de la route, le chirurgien décida d’acheter une bouteille de lait à une jeune laitière. Mais dès que son regard se posa sur sa main, il se figea d’étonnement…

Evgueni Nikolaïevitch roulait depuis déjà quatre heures dans son confortable tout-terrain sur des routes de campagne cahoteuses, se dirigeant vers un important symposium dans la ville voisine. Le temps n’était pas de bon augure : une boue humide, un froid perçant et une pluie mêlée de neige plongeaient son esprit dans une morosité profonde. Ses regards se posaient inévitablement sur les vieilles maisons en bord de route, sur les clôtures bancales, et en lui grandissait une mélancolie inexplicable.

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Il avait récemment déjeuné copieusement dans un café au bord de la route et, à présent, il était pris d’un besoin impérieux de boire, mais aucun magasin n’était à proximité, et son thermos de thé était depuis longtemps vide. C’est alors qu’à la radio se lança une chanson poignante sur l’amour, la fidélité, la trahison et la séparation, une chanson qu’il aimait tant dans sa jeunesse.

 

Les souvenirs l’envahirent. L’enfance d’Evgueni s’était déroulée dans une atmosphère de bonheur serein : il était né avec la cuillère en argent, étant le fils unique d’une famille d’éminents professeurs et sommités de la médecine. Son père, un chirurgien renommé, et sa mère, une gynécologue talentueuse, avaient entouré le petit Evgueni du monde médical dès son plus jeune âge, si bien que pour lui, aucune autre voie ne se présentait.

Malgré les cadeaux somptueux, les gadgets modernes et un goût raffiné, ses parents avaient toujours exercé une discipline stricte sur leur fils, interdisant toute frivolité. Il avait terminé ses études secondaires avec la médaille d’or, poursuivi ensuite des études de médecine à l’université, et suivi même des cours complémentaires. Mais, comme cela arrive, la jeunesse ne fut pas exempte de tourments amoureux, et un jour, alors qu’il se trouvait simplement dans la rue, il tomba éperdument amoureux au premier regard.

 

La jeune fille s’appelait Natasha. Orpheline vivant dans un foyer étudiant, elle étudiait pour devenir cuisinière dans un collège, et, pour subvenir à ses besoins, distribuait des prospectus près du métro. Natasha, d’un naturel émouvant et authentique, presque sans maquillage, aux yeux d’un bleu profond comme l’azur, vêtue d’une simple robe en coton agrémentée d’une fine ceinture, n’était certainement pas la typique racoleuse que l’on pourrait imaginer, mais elle faisait cela par nécessité.

En la voyant, Evgueni ne put s’empêcher d’être ému. Il eut pitié de cette pauvre fille et lui lança un clin d’œil en disant : « Qui travaille comme ça ? » Puis, prenant une pile de prospectus, il annonça avec enthousiasme : « Mesdames et messieurs, demain, vous aurez une occasion unique d’acheter tout pour la maison à des prix défiant toute concurrence ! » Sa voix, pleine d’entrain, fit écho dans l’air, et en quelques minutes, tous les prospectus furent distribués par les deux complices. Natasha rayonnait de joie et le remercia : « Merci, je n’y arrive pas du tout comme toi. » Evgueni, en riant, ajouta : « Tu as fait un excellent travail, on dirait que tu es destinée à la scène, ou même à être actrice ! » Et son rire se mêla au froid de l’air, laissant une empreinte inoubliable en ce jour-là.

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